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Les « robo advisors » (robots conseillers en français) sont présents sur le marché français depuis une dizaine d’années et le lancement de Advize en 2012. Initialement destinés à un usage direct sur internet par le grand public, c’est finalement sur les plateformes digitales des banques et des assureurs qu’ils ont trouvé leur place, et qu’ils « gèrent » à ce jour près de 11 milliards d’euros d’épargne.

Le moment est-il venu d’adopter plus massivement cette innovation (2% des français seulement étaient prêts à confier leur gestion financière à un robot, d’après un sondage IPSOS fin 2019) ?  Les avantages pour l’épargnant sont-ils convaincants ? Des questions subsistent, comme le montre le dernier rapport de l’association européenne des consommateurs de services financiers (Better Finance). Et il n’est pas certain que plus de technologie suffise à y répondre.

Une promesse à moitié tenue

Rappelons tout d’abord le principe du robot conseiller : dans une interaction directe avec un épargnant, il va d’abord dresser son « profil » d’investisseur, puis faire une recommandation de supports de placement. Celle-ci pourra être présentée sous la forme d’une répartition type (par exemple entre liquidités obligations et actions, éventuellement par zones géographiques). Ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, sous la forme d’une « allocation » entre les « fonds » de l’établissement qui héberge le robot (par exemple s’il est présent sur le site d’une banque les produits de cette banque).

Proposer au client de « parler à un robot » permet de traiter un grand nombre de demandes, 24 heures sur 24, pour un coût marginal. En conséquence, l’épargne gérée par les robots devrait subir des frais de gestion moins élevés que si elle confiée à des conseillers humains dont l’expertise et le temps d’interaction avec chaque client se rémunèrent. C’est bien ce que l’on constate au niveau européen, ce prix plus bas s’accompagnant souvent de la préconisation de « fonds » gérés eux-aussi de manière automatisée (gestion dite « passive » qui se limite à reproduire des indices boursiers). Au total c’est environ 0,5% de frais en moins chaque année, gain de performance précieux dans un univers de taux d’intérêt très bas.

Se passer d’un être humain devrait être aussi la garantie d’une plus grande fiabilité, et on pourrait s’attendre à ce que le robot, sans génie mais sans fantaisie guide de manière certaine l’épargnant vers un choix « adéquat ». De manière étonnante c’est le contraire qui semble se produire puisque Better Finance pointe sur ce sujet des « divergences extrêmes et alarmantes » : un même profil d’épargnant peut ainsi se voir gratifier selon le robot de 9% à 95% d’actions, et d’un « rendement attendu » variant de 2% à 12%. C’est la promesse même du robot qui semble ainsi remise en cause.

Mais ce paradoxe n’en est pas un : pour obtenir une réponse homogène il faudrait à la fois standardiser les algorithmes, mais aussi les questions posées pour établir un profil (les régulateurs européens y songent). Donc finalement n’avoir qu’un seul robot pour tous !

Mais surtout il faudrait standardiser le comportement de l’humain qui est face au robot (le client). Comment il comprend les questions, quelle attention il y porte, quel est le sens qu’il donne à ses réponses, et comment son humeur ou les nouvelles du jour influencent ses réactions. Au final, un robot n’est capable de conseiller à coup sûr…qu’un autre robot.

Reste qu’à défaut d’une parfaite cohérence, on peut être choqué de telles divergences qui heurtent le « bon sens ». Sauf à noter, comme Gaspar Koenig dans son « voyage au pays de l’intelligence artificielle », que la caractéristique des machines est d’en être totalement dépourvu.

Un champ peu prometteur pour l’IA

L’intelligence artificielle, justement est-elle la solution pour qu’on puisse « lâcher les robots » en toute confiance dans un avenir proche ? On peut en douter pour au moins 3 raisons.

Tout d’abord les applications pratiques de l’intelligence artificielle sont basées sur la l’ingestion d’un grand nombre de données. Suivant l’image consacrée, après avoir vu 1 millions de photos de « chat » l’IA sait reconnaitre à coup sûr (…ou presque) un chat. Dans le cas des robo-advisor il faudrait donc se baser sur un grand nombre d’allocations d’actifs jugées comme « bonnes » pour que le robo/IA sache en trouver la recette. Or les humains ont eux-mêmes une grande difficulté à s’accorder en matière de finance sur les sujets les plus simples (par exemple ce qu’est un « bon » rapport rendement risque), le jugement faisant trop appel à la subjectivité de l’épargnant.

L’IA pourrait-elle alors nous aider à dépasser cette subjectivité, en s’appuyant sur nos données de comportement (glanées sur Facebook ou Google) pour connaître nos vraies préférences, et corriger les « biais cognitifs » que l’économie comportementale a mis en évidence (l’aversion à la perte par exemple) ? Difficile à imaginer, car cette science est encore trop jeune pour pouvoir fournir « l’explicabilité » nécessaire pour autoriser une IA à prendre seule des décisions importantes.

 

Mais plus fondamentalement n’y a-t-il pas une contradiction entre l’idée même d’un robot conseiller dont « l’intelligence » serait inaccessible à la logique de l’individu et la notion même d’autonomie qui est au cœur d’une décision qui touche sa sphère personnelle ?

 

Comme le montrent toutes les études sur le « bien être financier » c’est la capacité à être autonome, c’est à dire à faire par soi-même ses choix, qui est à la base de ce bien-être. Et non une « optimisation » dont la rationalité échapperait à son « bénéficiaire », voire lui ajouterait du stress. Le bon accompagnement ne consiste donc pas à dire à l’épargnant « quoi faire », mais à l’aider à « trouver sa propre logique ». La seule qui lui permette de se projeter sereinement dans le futur et d’être constant dans ses décisions.

Comme le souligne Gaspar Koenig, c’est justement la « capacité d’appréhension du contexte » et « l’accès à la connaissance d’autrui » qui marquent limite entre intelligence artificielle et l’intelligence humaine.

Une IA, car elle ne peut comprendre le contexte d’un être humain, serait donc incapable de l’autonomiser, et donc de lui faire prendre une décision qu’il ou elle considère comme satisfaisante sur le long terme (quid d’un épargnant qui d’un jour sur l’autre change de contexte personnel sur des critères qui ne seraient pas perçus par l’IA… ?).

Un outil … à ne pas mettre entre toutes les mains

Laissé seul face à un épargnant qui ne le comprend pas et pire encore qu’il ne comprend pas, le robot conseiller risque donc de largement rater sa cible. Il peut en revanche être un outil performant s’il est manipulé ou supervisé par un expert, ou s’il est affecté à des tâches répétitives comme le suivi dans la durée des allocations. Il peut aussi être utile pour proposer des alternatives à un épargnant déjà autonome et éduqué financièrement qui sait interpréter…ou passer outre, ses recommandations. Better Finance pointe d’ailleurs le manque d’éducation financière comme le principal frein à la bonne utilisation des robots.

A condition toutefois qu’ils rassurent sur leur fiabilité, pour l’instant questionnée.

Auteur : Nicolas Schimel 

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Post Author: Le Blog de la Téléconsultation Financière

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One Reply to “Finance : faut-il faire confiance aux robots ?”

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