
Depuis quelques années, nous disposons de données sur les connaissances financières des Français, qui montrent qu’elles sont très médiocres voire franchement mauvaises. Cette faiblesse des connaissances financières des Français a probablement un effet significatif sur leur bonne santé financière. En effet, une importante littérature scientifique a mis en évidence que, indépendamment des caractéristiques socio-économiques comme le niveau de revenu et le niveau de diplôme ou même l’intelligence, le niveau de connaissances financières avait un effet significatif sur plusieurs indicateurs de la santé financière. Cela suggère que les Français pourraient augmenter leur bien-être en améliorant leurs connaissances financières et/ou en se faisant conseiller par des spécialistes.
Comment mesurer le niveau de connaissances financières ?
Depuis 1998, l’INSEE mène à intervalles réguliers l’enquête PATER, dont le but est notamment de mieux connaître les comportements individuels des Français en matière d’épargne. En 2011, lors de la dernière vague de cette enquête, 3 questions ont été ajoutées au questionnaire afin d’évaluer le degré de connaissances financières des Français. Les résultats ont été analysés dans une étude de Luc Arrondel, Majdi Debbich et Frédérique Savignac.
La première de ces questions a pour but d’évaluer la compréhension du principe des intérêts composés. Voici comment cette question a été formulée et les réponses qui étaient proposées :
Imaginez que vous ayez 1000€ sur votre compte d’épargne et que celui-ci soit rémunéré à un taux de 2% par an. Au bout de 5 ans, combien détiendrez-vous sur votre compte épargne, si vous n’avez pas touché à votre dépôt initial ?
– Moins de 1100 euros
– 1100 euros
– Plus de 1100 euros
– Je ne sais pas
L’intérêt de cette question est qu’elle permet de mesurer la compréhension du principe des intérêts composés indépendamment des capacités en calcul
En effet, pour répondre correctement à cette question, il n’est pas nécessaire de calculer combien d’argent sera sur le compte au bout de 5 ans, ce qui n’est pas évident à faire de tête. Il suffit de comprendre le principe des intérêts composés et donc le fait que la somme des intérêts au bout de 5 ans sera supérieure à la somme des intérêts sur le montant initial.
La seconde question, qui a pour but de mesurer la compréhension du concept d’inflation, est formulée en ces termes :
Imaginez que le taux d’intérêt auquel est rémunéré votre épargne, placée sur un compte, soit de 1% et l’inflation de 2% par an. Au bout d’un an, avec l’argent sur ce compte, vous serez en mesure d’acheter ?
– Plus qu’aujourd’hui
– Autant qu’aujourd’hui
– Moins qu’aujourd’hui
– Je ne sais pas
De même qu’avec la première question, il n’est pas nécessaire de faire un calcul pour répondre à cette question, qui mesure donc seulement que les sondés comprennent le concept d’inflation, en plus de celui d’intérêt qui est supposé connu
La troisième question, dont le but principal est de mesurer la compréhension de la relation entre le risque et la diversification, est formulée ainsi :
Voici 4 produits financiers. Classez-les de 1 à 4 du moins risqué au plus risqué selon vous, 1 étant celui que vous estimez être le moins risqué.
– Livret d’épargne
– Actions
– Obligations
– SICAV/Fond Commun de Placement
Cette question n’évalue pas seulement la compréhension de la relation entre le risque et la diversification, mais aussi la connaissance de la nature des différents types de produits financiers et du risque qui leur est associé, puisque par exemple on peut savoir que la diversification réduit le risque sans pour autant savoir ce qu’est un fond commun de placement ou que les actions sont plus risquées que les obligations. Afin de réduire le problème, Arrondel, Debbich et Savignac ont pris le parti de considérer qu’une réponse à cette question était correcte dès lors qu’elle disait qu’une action était un type d’actif plus risqué qu’une part dans une SICAV ou un fond commun de placement, même si le reste du classement donné contient une erreur.
Que montrent les données sur le degré de connaissances financières des Français ?
Ces 3 questions, à l’exception peut-être de la dernière, sont vraiment élémentaires et on pourrait croire que tout le monde ou presque tout le monde est capable d’y répondre correctement, mais les données de l’enquête PATER montrent pourtant que c’est loin d’être le cas. Ainsi, moins de 48% des Français savent répondre correctement à la question sur les intérêts composés, tandis qu’environ 61% savent répondre correctement à celle sur l’inflation et environ 66% à la question sur le risque. Moins d’un tiers des Français savent répondre correctement aux 3 questions. Ces questions étant vraiment basiques, il ne fait guère de doute que si on demandait aux Français de répondre à des questions plus complexes mais aussi correspondant mieux aux types de calculs/raisonnements qu’ils doivent faire pour gérer leurs finances dans la vie de tous les jours, la proportion de gens qui commettent des erreurs serait beaucoup plus importante.
Sans grande surprise, les caractéristiques socio-économiques ont un effet important sur les résultats, mais dans toutes les catégories sociales une proportion importante de gens ne savent pas répondre correctement aux questions décrites plus haut. Ainsi, même chez les gens ayant un diplôme du supérieur, plus de 35% sont incapables de répondre correctement aux 3 questions. C’est bien mieux que chez les gens peu diplômés, mais compte tenu du caractère élémentaire de ces questions, ça reste très faible. Par ailleurs, les femmes ont un niveau de connaissances financières nettement inférieur à celui des hommes, ce qui suggère qu’elles sont désavantagées par rapport à ces derniers. C’est d’ailleurs un phénomène qu’on observe dans les autres pays sur lesquels nous disposons de données, sans qu’il soit pour l’instant très bien compris. Peu importe l’explication, étant donné que, comme allons le voir bientôt, le niveau de connaissances financières joue un rôle dans la bonne santé financière des individus, cet écart pourrait contribuer à accentuer les inégalités entre hommes et femmes. Les salariés dans leur ensemble ne sont que 35% à répondre correctement aux 3 questions.
Pourquoi la faiblesse des connaissances financières des Français est un problème
Si le niveau de connaissances financières n’avait aucun effet sur la bonne santé financière des individus, ces mauvais résultats ne seraient pas très importants, mais une littérature scientifique de plus en plus volumineuse suggère au contraire que le niveau de connaissances financières contribue à la bonne santé financière des individus. Dans un un article paru en 2014, Annamaria Lusardi et Olivia Mitchell, qui sont à l’origine de l’idée de mesurer le niveau de connaissances financières à l’aide des 3 questions décrites plus haut, ont fait le point sur cette littérature et ce qu’elle nous a appris sur l’impact des connaissances financières sur le comportement des individus et leur bonne santé financière.
Plusieurs études aux États-Unis et dans beaucoup d’autres pays ont montré que les gens qui avaient un niveau de connaissances financières élevé investissaient plus souvent sur les marchés financiers, préparaient plus souvent leur retraite longtemps à l’avance, refinançaient plus souvent leurs crédits quand les taux d’intérêt baissaient, etc. Il n’est donc pas surprenant que, en plus de ça, un niveau de connaissances financières plus élevé soit également associé à un patrimoine net plus important, un rendement de son épargne plus important, un recours moins fréquent à des modalités d’endettement coûteuses, etc. Tout ceci suggère fortement que, si les Français amélioraient leurs connaissances financières ou se faisaient conseiller par des professionnels, beaucoup d’entre eux pourraient réaliser des gains substantiels.
Bien sûr, le fait qu’il existe une corrélation entre le niveau de connaissances financières et des comportements financiers vertueux ne signifie pas que cette relation est causale, car il est possible que les gens qui ont de meilleures connaissances financières aient aussi d’autres caractéristiques qui expliquent pourquoi ils ont des comportements financiers vertueux, sans que leur niveau de connaissances financières joue le moindre rôle. Par exemple, nous avons vu qu’en moyenne les gens ayant obtenu un diplôme du supérieur ayant un niveau de diplôme plus élevé avaient aussi un niveau de connaissances financières plus élevé, donc il est possible que, s’ils ont des comportements financiers plus vertueux, ce soit parce qu’ils sont plus éduqués et pas vraiment parce qu’ils ont de meilleures connaissances financières.
Heureusement, les auteurs des études sur la question ont pensé à ce problème, donc ils ont utilisé diverses méthodes statistiques pour s’assurer que l’effet du niveau de connaissances financières était bien causal. D’abord, ils ont contrôlé pour un grand nombre de caractéristiques socio-économiques, ce qui a permis de vérifier que même à caractéristiques socio-économiques égales (âge, sexe, niveau de diplôme, revenu, etc.) les gens qui avaient un niveau de connaissances financières plus élevé avaient des comportements financiers plus vertueux. Plus surprenant encore, certaines études ont montré que, même à niveau d’intelligence égal, un niveau de connaissances financières plus élevé était associé à des comportements financiers plus vertueux.
Même quand on contrôle pour suffisamment de variables, il y a toujours un risque qu’on en ait oublié qui affectent les comportement financiers et sont corrélées au niveau de connaissances financières, ce qui pourrait conduire à conclure que celui-ci a un effet positif sur la bonne santé financières des individus alors que ce n’est pas vraiment le cas. Certaines études ont donc utilise une technique statistique connue sous le nom de méthode des variables instrumentales qui permet d’éviter ce problème. Or, non seulement ces études ont confirmé que le niveau de connaissances financières avait un effet positif sur les comportements financiers, mais en plus elles ont toutes conclu que celui-ci était encore plus important que lorsqu’on utilisait des techniques statistiques moins sophistiquées.
Conclusion
Nous avons vu que les Français avaient un niveau de connaissances financières laissant beaucoup à désirer et que cela entraînait probablement des conséquences négatives importantes pour leur bonne santé financière. D’autre part, s’il est vrai que le manque de connaissances financières est plus criant au sein des catégories socio-professionnelles inférieures, le niveau de connaissances financières laisse beaucoup à désirer même au sein des catégories socio-professionnelles supérieures. C’est aussi plus vrai dans certaines catégories, comme les femmes et les immigrés, qui sont par ailleurs déjà défavorisés.
Enfin, la littérature scientifique sur le sujet montre que, même à caractéristiques socio-économiques égales, un niveau de connaissances financières plus élevé conduit à des comportements financiers plus vertueux et une meilleure santé financière. Il est donc probable que, dans toutes les couches de la société, beaucoup de Français pourraient améliorer leur bonne santé financière et donc augmenter leur niveau de bien-être en améliorant leur degré de connaissances financières ou en se faisant conseiller par des gens compétents qui peuvent les aider à prendre les bonnes décisions et à éviter les erreurs.
Auteur : Philippe Lemoine
SOURCES
- Luc Arrondel, Majdi Debbich et Frédérique Savignac, “Financial Literacy and Financial Planning in France”, Numeracy, Volume 6, Issue 2, 2013
- Annamaria Lusardi, Olivia S. Mitchell, “The Economic Importance of Financial Literacy: Theory and Evidence”, Journal of Economic Literature, Vol. 52, Issue 1, 2014, pp. 5-44