S’intéresser au bien-être financier de ses salariés n’est pas un tabou

La qualité de vie au travail, le bien-être des salariés fait depuis longtemps partie des préoccupations des employeurs. Les entreprises ont compris que des salariés en meilleure santé et travaillant dans des conditions épanouissantes étaient plus engagés, plus efficaces, plus créatifs et plus fidèles.

C’est ainsi qu’ont fleuri des services visant à améliorer les conditions de vie professionnelles : espaces de gymnastique, cours de yoga, espaces de détente, babyfoot, snacking, conciergeries, …

Le mouvement se poursuit jusqu’à couvrir le bien-être financier.

Comment définir le bien-être financier ?

Ce n’est pas si simple. Une première manière de le définir est de décrire, à l’inverse, ce qui serait caractéristique d’un mal-être financier.

Plusieurs situations viennent immédiatement à l’esprit : la crainte de ne pas pouvoir boucler ses dépenses mensuelles, la peur de perdre son emploi. Mais aussi, le fait de ne pas pouvoir faire face à un imprévu, de ne pas être en capacité de rembourser ses dettes. Ou encore, la préoccupation liée à la baisse de revenus à la retraite. Le fait de s’inquiéter de sa fin de vie et des conditions de celle-ci, c’est-à-dire du financement d’un état hypothétique de dépendance.

Le mal être financier exprime donc une inquiétude, un stress.

Pour les moins aisés, le risque de devoir faire face à un imprévu est très anxiogène. Cet imprévu peut être lié à une maladie, à un aléa (réparation d’un véhicule indispensable à la conservation de son emploi) que ne peut couvrir une épargne de précaution trop modeste. Il peut s’agir également d’une situation de découvert permanent qui fait peser un inconfort voire une épée de Damoclès sur son avenir financier avec des conséquences possiblement dramatiques comme l’interdiction d’avoir un compte bancaire et la plongée dans la misère sociale.

Un désalignement entre moyens et objectifs ou entre objectifs et moyens

Le plus souvent, le stress est l’expression d’une discordance entre les moyens dont on dispose dans une situation donnée et les objectifs qu’on s’assigne ou que l’on nous assigne.

Ainsi, si ses moyens actuels ne permettent pas de maintenir son train de vie ou d’agir selon ses souhaits alors on peut être en situation de stress.

Dans ce cas, le sentiment de mal-être financier relève davantage d’une perception qui peut varier grandement d’une personne à une autre.

On peut aussi avoir un sentiment d’intranquillité par rapport à ses affaires d’argent tout simplement parce qu’on ne sait pas si sa situation est bonne ou mauvaise.

Par exemple, on peut détenir un placement en assurance vie dont les performances proches de 1% paraissent décevantes. Retrouver de la sérénité supposerait de répondre à plusieurs questions fondamentales : A quel objectif est destinée cette épargne ? A quel horizon ? Quel degré de risque/rendement suis-je prêt à prendre compte tenu de ma situation familiale ?

Le bien-être financier peut enfin être décorrélé du niveau de revenus. Vivre au-dessus de ses moyens peut ainsi, quelles que soient ses ressources, susciter une inquiétude voire un mal-être financier. Or réduire ses objectifs, son train de vie, suppose de faire le deuil d’une vie rêvée que l’on ne peut pas financer, de se satisfaire d’une situation différente.

Savoir résister à la pression sociale c’est-à-dire « faire comme les Dupont » est aussi l’une des clefs de l’équation à résoudre.

 4 critères caractérisent le bien-être financier :

– le fait de contrôler ses dépenses quotidiennes et son budget

– le fait d’être capable de faire face à un aléa de la vie

– la liberté de faire des choix financiers permettant de se faire plaisir et de mieux profiter de l’existence : sortir au restaurant, prendre des vacances, se montrer généreux pour une cause qui nous tient à cœur.

– le fait d’avoir une route balisée pour atteindre ses objectifs financiers de moyen et long terme.

Ce dernier point, souvent oublié, est fondamental. Il renvoie au sentiment de maitriser financièrement chaque étape de son cycle de vie. Plus autonome, on est plus confiant et plus serein.

Le rôle des employeurs, garants du bien-être financier

D’après une étude menée par la société Aon, les raisons pour lesquelles les employeurs ont créé un programme de bien-être financier sont, en premier lieu, la conviction profonde que c’est une bonne chose à faire en faveur de leurs salariés. C’est en quelque sorte une raison d’être de l’entreprise et fait partie de ses valeurs.

Viennent ensuite le souhait d’accroître l’engagement de leurs salariés, de promouvoir l’utilisation de leur dispositif d’épargne retraite, de réduire le temps passé par leurs salariés à s’occuper de leurs affaires d’argent au travail, de limiter les coûts médicaux de santé et d’absentéisme.

Quelques données chiffrées :

  • Pour 35% des Français, les problèmes de nature financière sont l’une des causes principales du stress (enquête OpinionWay 2017).
  • 65 % des actifs français sont stressés par leur situation financière (étude Mercer 2019)
  • 18 à 19% des salariés perdent le sommeil en s’inquiétant de problèmes concernant leurs affaires d’argent (Barclays 2014, CIPD 2017) et un sommeil de mauvaise qualité contribue à une moindre productivité
  • 25% des employés affirment que les problèmes d’argent ont déjà affecté la qualité de leur travail (CIPD 2017).
  • un plus haut niveau de stress financier peut conduire à un taux d’absentéisme plus élevé entrainant des conséquences négatives sur la productivité (Willis Towers Watson 2016),
  • 8% of des salariés anglais ont admis prendre des jours de congés en raison de problèmes financiers (Neyber 2016).

Des solutions innovantes de bien-être financier pour les salariés

Les DRH pensent que les deux leviers principaux pour accroître l’engagement de leurs salariés sont les incentives financiers et le sentiment que l’employeur se préoccupe d’eux, prennent soin d’eux, leur accordent une attention sincère.

Prendre soin de ses salariés c’est leur donner la possibilité de contrôler davantage leur situation financière, notamment en tirant le meilleur parti de leurs dispositifs collectifs. Moins stressés, ils deviennent ainsi plus satisfaits, fidèles et engagés. Des solutions existent…

Auteur : Paul Younès 

La téléconsultation financière : le levier RSE de votre politique salariale

Le bien-être financier des salariés s’inscrit au cœur de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Les entreprises ont plus que jamais pour mission de pourvoir à la constitution d’une épargne, d’une retraite pour leurs collaborateurs. Mais face à la multiplicité et à la complexité des produits qu’elles offrent, les salariés en font-ils bon usage? Et ont-ils conscience de ce que l’employeur fait pour eux ? C’est pourquoi Filib’ invente la téléconsultation financière, une offre de service sur mesure, à travers laquelle chaque collaborateur bénéficie d’un conseil personnalisé via un coach qui fait le meilleur pour son patrimoine.

Une tendance de fond

Le 22 mai 2019 est une date à marquer d’une pierre blanche : La loi Pacte a modifié le droit commun pour y faire entrer le droit de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Apparaissent  les notions nouvelles de « raison d’être » et de « société à mission« .

Des débats ont eu lieu afin de savoir si la vocation première des entreprises n’était pas plutôt de se concentrer sur la création de valeur économique pour ses actionnaires, ses salariés, ses clients.

Ce débat est vain. Les entreprises n’ont plus le choix. Leurs actionnaires, leurs salariés, leurs clients exigent d’elles de s’engager pour la planète, pour les sujets de sociétés, pour la diversité, pour la mixité, pour le bien-être commun.

Sous l’angle du bien-être financier de ses salariés, l’entreprise est depuis longtemps sollicitée par les pouvoirs publics. Depuis les années 60, quelle que soit l’orientation politique des gouvernements qui se sont succédés, l’Etat n’a cessé d’inciter les entreprises à prendre en partie à sa charge la constitution d’une épargne pour leurs collaborateurs, leur prévoyance, leurs soins de santé, et leur préparation à la retraite. Et ce mouvement qui consiste à considérer l’entreprise comme un relais des politiques publiques va se poursuivre.

Des freins au développement

Reste que ces dispositifs (PERP, PERCO, PERE,…) toujours plus puissamment soutenus par des lois ou réglementations successives, n’obtiennent que très lentement le succès populaire escompté.

A cela on peut avancer deux raisons majeures,

-la multiplicité des produits et leur enchevêtrement, la complexité de leurs règles fiscales, le galimatias des notes explicatives des supports financiers ;

– le manque de mise en perspective de cette épargne collective dans la problématique financière des individus.

Une étude de 2018 menée par la Banque de France éclaire le propos sur le niveau d’éducation financière des français. Elle met en avant une certaine méconnaissance des produits financiers et une difficulté à réaliser des calculs financiers simples. Près de 60% ne maîtrisent pas l’effet de l’inflation sur leur pouvoir d’achat ou le calcul d’un intérêt sur un placement ; 51% ne savent pas définir un crédit renouvelable et 43% ont le sentiment de ne pas disposer d’informations suffisamment fiables et neutres pour gérer efficacement leur budget.

La loi Pacte intègre ces constats puisque en instaurant le PER, nouveau cadre réglementaire pour l’épargne retraite, elle introduit la notion d’« obligation d’aide à la décision ».

Il ne suffit plus en effet de mettre en place des solutions d’épargne retraite ou d’épargne salariale, encore faut-il que les salariés soient accompagnés dans leur appropriation.

Un alignement d’intérêt

C’est dans cette veine que s’inscrit la téléconsultation financière : au croisement entre la pédagogie et l’accompagnement. L’évolution des mentalités et des comportements suppose qu’un pont soit établi entre les besoins des salariés et les moyens mis à leur disposition.

La téléconsultation financière est un service qui permet aux salariés de mieux comprendre leurs dispositifs, de pouvoir les utiliser de manière optimale et de savoir les positionner dans leur problématique individuelle. C’est tout l’attrait et l’efficacité de ce service. Les salariés, après une téléconsultation financière, doivent avoir gagné en autonomie pour redevenir actif dans la gestion et le pilotage de leur épargne.

La téléconsultation financière fait donc partie des nouveaux services aux salariés répondant à une mutation sociétale qui demande à l’entreprise de participer au bien-être de ses salariés, à la frontière entre professionnelle et privé.

Elle s’intègre ainsi dans une politique de ressources humaines innovante de différenciation et d’implication des Comités d’Entreprise, et permet à l’entreprise de valoriser une image d’employeur attractif et responsable.

Auteur : Paul Younès 

Qu’est-ce que l’aversion à la perte et pourquoi ça peut être dangereux ?

J’ai parlé dans un précédent article de l’aversion au risque et expliqué pourquoi celle-ci n’avait rien d’irrationnel en soi. Dans cet article, je veux parler d’un autre phénomène, lié mais différent, à savoir l’aversion à la perte. Comme nous l’avons vu dans notre article sur le sujet, l’aversion au risque s’explique très naturellement dans le cadre de la théorie de l’utilité espérée, qui suppose que les gens agissent de manière à maximiser leur utilité ou degré de satisfaction. Mais ce n’est pas le cas de l’aversion à la perte, qui est incompréhensible dans le cadre de la théorie de l’utilité espérée, mais ne peut s’expliquer qu’avec un cadre théorique fondamentalement différent.

Le phénomène de l’aversion à la perte

L’aversion à la perte est un phénomène étudié notamment par Daniel Kahneman et Amos Tversky, les principaux fondateurs de l’économie comportementale, qui voit les gens adopter un comportement différent face au risque selon qu’ils envisagent un gain ou une perte. Ainsi, alors que les gens font preuve d’une aversion au risque quand il s’agit de gains potentiels, ils démontrent au contraire une préférence pour le risque quand il envisage une perte. Cette asymétrie du comportement face au risque selon que les gens soient confrontés à la perspective d’un gain ou d’une perte a d’abord été démontrée empiriquement à travers plusieurs expériences, avant que Kahneman et Tversky ne proposent dans un article séminal paru en 1979 un cadre théorique, la théorie des perspectives, qui permet de l’expliquer, contrairement à la théorie de l’utilité espérée qui n’avait jusque-là guère d’alternative crédible.

La théorie de l’utilité espérée part en effet du principe que les gens assignent une utilité à un niveau de richesse donné, qui ne dépend pas de la façon dont il a été atteint, puis font les choix qui maximisent leur utilité espérée, qui dépend non seulement de leur fonction d’utilité mais aussi des probabilités qu’ils assignent aux différentes possibilités.

Considérons les deux scénarios suivants. Dans le premier cas, on donne 2 000€ à quelqu’un, puis on lui demande de choisir entre recevoir 500€ en plus de façon certaine et recevoir 1 000€ en plus avec une probabilité de 50%. Dans le second cas, on donne à quelqu’un 3 000€, puis on lui demande de choisir entre perdre 500€ de façon certaine et perdre 1 000€ avec une probabilité de 50%. Du point de vue de la théorie de l’utilité espérée, ces deux scénarios sont équivalents : il s’agit dans les deux cas de choisir entre recevoir 2 500€ à coup sûr et recevoir 3 000€ avec une probabilité de 50% ou 2 000€ avec une probabilité de 50%.

On peut représenter la situation visuellement, comme dans le graphique ci-dessous :Dans le premier cas décrit plus haut, la personne commence au point A, puis doit choisir entre d’une part arriver au point C de façon certaine et d’autre part avoir une probabilité de 50% de rester au point A et une probabilité de 50% d’arriver au point B. Dans le second cas, elle commence au point B, puis doit choisir entre d’une part arriver au point C de façon certaine et d’autre part avoir une probabilité de 50% de rester au point B et une probabilité de 50% d’arriver au point C. Dans les deux cas, en pratique, la personne doit choisir entre finir au point C de manière certaine d’une part et d’autre part finir au point A avec une probabilité de 50% ou au point B avec une probabilité de 50%.

Si c’était seulement l’état de richesse final qui comptait, le fait de passer par le point A ou le point B avant d’atteindre cet état final, que celui-ci soit A, B ou C, ne devrait avoir aucune incidence sur le choix qui est fait entre l’option sans incertitude et l’option avec une incertitude. Pourtant, quand on propose un choix de ce type dans une expérience, ce n’est pas ce qu’on observe.

Quand on donne 2 000€ aux gens et qu’on leur demande de choisir entre recevoir 500€ supplémentaire à coup sûr et recevoir 1 000€ supplémentaire avec une probabilité de 50%, la plupart des gens font preuve d’aversion au risque et choisissent la première option, conformément à ce que prédit la théorie de l’utilité espérée dès lors que l’utilité marginale est décroissante. (Voir notre article sur l’aversion au risque pour des explications plus détaillées sur ce point.)

En revanche, quand on commence par leur donner 3 000€ et qu’on leur demande de choisir entre perdre 500€ à coup sûr et perdre 1 000€ avec une probabilité de 50%, la plupart choisissent la seconde option en dépit du risque, contrairement à ce que prédit la théorie de l’utilité espérée.

En effet, si les gens se comportaient conformément à ce que prédit cette théorie, ils choisiraient de perdre 500€ à coup sûr plutôt que de prendre le risque de perdre 1 000€. Examinons la situation plus en détail pour comprendre pourquoi. Si la personne à qui on propose l’alternative fait le choix de la certitude, elle se retrouve au point C avec l’utilité U2. En revanche, si elle fait le choix de l’incertitude, elle a une chance sur deux de se retrouver au point B avec l’utilité U3 et une chance sur deux de se retrouver au point A avec l’utilité U1.

Dans le premier cas, elle réalise un gain d’utilité égal à U3 – U2 par rapport à la situation où elle a fait le choix de perdre 500€ à coup sûr, alors que dans le second cas elle subit une perte d’utilité de U2 – U1. Or, sur le graphique plus haut, on voit que la différence entre U3 et U2 est inférieure à la différence entre U2 et U1. Comme les deux possibilités ont la même probabilité, si cette personne cherchait à maximiser son utilité espérée, elle devrait par conséquent choisir de perdre 500€ à coup sûr plutôt que de tenter sa chance et de choisir l’option plus incertaine.

Autrement dit, elle devrait faire la même chose que dans le cas où on commence par lui donner 2 000€ et on lui demande ensuite de choisir entre avoir 500€ de plus à coup sûr et avoir 1 000€ de plus avec une probabilité de 50%, mais ce n’est pas ce qu’on observe.

Quand on y réfléchit un peu, on s’aperçoit que, loin de se limiter aux questions d’argent, ce phénomène est omniprésent. Par exemple, si l’équipe de foot que vous soutenez est menée 3 – 0 puis fait une remontée et finir par égaliser, vous serez beaucoup plus satisfait du résultat que si votre équipe menait 3 – 0 et que c’était l’équipe adverse qui parvenait à revenir au score.

Pourtant, le résultat final est le même dans les deux cas (3 – 3), donc si c’était seulement celui-ci qui importait pour votre satisfaction, il ne devrait y avoir aucune différence entre les deux scénarios. C’est exactement le même phénomène que celui que nous venons d’étudier plus haut : pour la plupart des gens, finir avec 2 500€ après en avoir reçu 2 000€ est plus satisfaisant que finir avec 2 500€ après en avoir reçu 3 000€. C’est ce qui explique l’asymétrie dans le comportement face au risque selon que les gens envisagent un gain ou une perte.

On pourrait sans doute modifier la théorie de l’utilité espérée pour s’accommoder de ce résultat expérimental, entre autres en supposant que la fonction d’utilité change constamment et dépend de l’historique des gains et des pertes successifs, mais de telles modifications seraient un peu artificielles et nécessiteraient qu’on fasse des hypothèses complètement ad hoc, d’autant qu’il existe d’autres résultats expérimentaux qui mettent à mal cette théorie. Plutôt que de chercher à sauver à tout prix la théorie de l’utilité espérée, Kahneman et Tversky ont préféré développer un nouveau cadre théorique dans lequel ces résultats expérimentaux s’expliquent naturellement. La théorie des perspectives, prospect theory en anglais, est l’aboutissement de cet effort.

Par rapport à la théorie de l’utilité espérée, la principale rupture introduite par la théorie des perspectives est que, dans cette théorie, ce n’est pas l’état de richesse final qui fait l’objet d’une évaluation lors de la prise de décision, mais le gain ou la perte par rapport à l’état de richesse actuel de la personne qui doit prendre une décision. Autrement dit, l’utilité de chaque état final possible est évaluée par rapport à un point de référence et diffère selon qu’il constituerait un gain ou une perte par rapport à ce point, alors que dans la théorie de l’utilité espérée l’état de richesse actuel est indifférent.D’autre part, comme on le voit sur le graphique ci-dessus qui représente une courbe d’utilité dans la théorie des perspectives, cette courbe a une forme en S et présente une asymétrie par rapport au point de référence.

Cette asymétrie permet d’expliquer le phénomène d’aversion à la perte, mais avant d’examiner pourquoi, commençons par regarder ce qui se passe dans le cas où l’agent envisage un gain.On voit que, dans ce cas, tout se passe comme dans la théorie de l’utilité espérée. Le graphique représente le cas où l’on commence par donner 2 000€ à quelqu’un, puis on lui demande de choisir entre recevoir 500€ en plus de façon certaine et recevoir 1 000€ en plus avec une probabilité de 50%. Comme la courbe d’utilité est concave dans le cas des gains, c’est-à-dire que l’utilité marginale est décroissante, l’objectif de maximisation de l’utilité conduit à préférer l’option sans incertitude, conformément à ce que font la plupart des gens en pratique.

Que se passe-t-il dans le cas où on donne à quelqu’un 3 000€, puis on lui demande de choisir entre perdre 500€ de façon certaine et perdre 1 000€ avec une probabilité de 50%. Le graphique suivant représente cette situation :On voit que, comme la courbe d’utilité est convexe dans le cas des pertes, par rapport au point de référence, la différence entre U1 et l’utilité au point de référence est bien plus grande que celle entre U1 et U2.

Étant donné que, si la personne à qui on propose cette alternative choisit de prendre un risque au lieu de perdre 500€ à coup sûr, la probabilité de ne rien perdre est la même que la probabilité de perdre 1 000€, cela signifie que, si elle cherche à maximiser son utilité, elle devrait choisir l’option risquée. Le raisonnement qui conduit à cette conclusion est exactement symétrique à celui qui amène à la conclusion qu’il vaut mieux préférer l’option sans risque dans le cas où on envisage un gain.

Ainsi, la théorie des perspectives prédit le phénomène d’aversion à la perte car, contrairement à la théorie de l’utilité espérée, elle part du principe que l’évaluation de l’utilité des états finaux dépend de l’état initial et que la fonction d’utilité n’a pas la même forme dans le cas des gains que dans le cas des pertes. La théorie des perspectives introduit d’autres changements par rapport à la théorie de l’utilité espérée, notamment pour tenir compte du fait que les gens ont tendance à accorder trop de poids aux possibilités très improbables et pas assez aux possibilités quasi-certaines, mais dans le cadre de cet article il n’est pas nécessaire d’entrer dans ces détails.

La principale différence entre la théorie de l’utilité espérée et la théorie des perspectives est que cette dernière est une théorie descriptive alors que la première est une théorie prescriptive. En d’autres termes, la théorie des perspectives prétend décrire ce que les gens font, alors que la théorie de l’utilité espérée prétend décrire ce que les gens devraient faire.

Bien sûr, ça ne veut pas dire que la théorie des perspectives décrit correctement le comportement des gens dans tous les cas (Kahneman et Tversky ont d’ailleurs été contraints d’y apporter des modifications pour répondre à certaines critiques), mais c’est du moins son objectif. Dans le cas de la théorie de l’utilité espérée, c’est un peu plus compliqué, car pendant longtemps les économistes ont considéré que, même si elle décrivait un idéal rationnel et pas la façon dont les gens se comportaient en réalité, les gens étaient suffisamment rationnels pour qu’elle puisse néanmoins décrire de manière approximative leur comportement.

Conclusion

La découverte du phénomène d’aversion à la perte fait partie des choses qui ont convaincu beaucoup d’économistes que cette position n’était pas tenable et conduit au développement d’alternatives comme la théorie des perspectives. En effet, de même que l’aversion au risque n’est pas irrationnelle en soi, l’aversion à la perte n’est pas nécessairement irrationnelle, mais contrairement à l’aversion au risque elle peut facilement conduire à des résultats désastreux qui ne sont pas du tout désirés par les gens qui manifestent ce comportement. En effet, comme nous l’avons vu, l’aversion à la perte signifie que, pour éviter des pertes, les gens sont prêts à prendre des risques. Or, dans certains cas, cette prise de risque peut s’avérer catastrophique.

Prenons l’exemple d’un investisseur qui possède un grand nombre d’actions d’une entreprise dont le cours est en train de tomber. Il pourrait vendre les actions et limiter les dégâts, mais comme les gens ont une aversion à la perte, il risque de les garder dans l’espoir que le cours remonte. Mais si entretemps l’entreprise fait faillite, il pourrait bien être ruiné, ce qui serait bien pire pour lui que la perte limitée qu’il cherchait à éviter. Il est donc crucial d’avoir conscience de cette tendance qu’ont la plupart des gens lorsqu’on prend des décisions financières importantes, car cela permet éventuellement d’éviter ce genre de comportement irrationnel, dont les conséquences peuvent être funestes.

Auteur : Philippe Lemoine

Qu’est-ce que l’aversion au risque ?

Le phénomène de l’aversion au risque

On entend souvent dire que les Français sont trop frileux avec leur argent. Ils auraient une aversion au risque trop importante et, à cause de ça, feraient des choix d’investissements suboptimaux. Il y a beaucoup de raisons de penser que c’est vrai, mais quand les gens disent ça, on a souvent l’impression que l’aversion au risque en soi est irrationnelle ou qu’il existerait un niveau d’aversion au risque optimal qui ne dépendrait pas de critères subjectifs.

Pourtant, rien de tout cela n’est vrai et, au contraire, cela dénote une confusion sur le concept d’aversion au risque. Dans cet article, je me propose d’expliquer ce qu’est l’aversion au risque et pourquoi elle n’a rien d’irrationnel en soi, même si je conclurai en arguant que, dans le domaine financier, le comportement des Français face au risque n’est cependant pas toujours rationnel. Dans un autre article, je détaillerai le phénomène de l’aversion à la perte.

Pour comprendre ce qu’est l’aversion au risque et pourquoi il est parfaitement rationnelle de manifester une telle aversion, il faut d’abord introduire brièvement le concept d’utilité. Il serait trop compliqué d’expliquer rigoureusement dans cet article ce que les économistes appellent l’utilité, qui donne lieu à de nombreuses confusions y compris chez les économistes eux-mêmes, mais ce n’est heureusement pas nécessaire. Pour les besoins de cet article, il suffit de considérer que chaque personne dérive un certain degré de satisfaction d’une quantité d’argent donnée, qu’on appelle utilité.

Différentes personnes dérivent une utilité différente de la même quantité d’argent et la même personne peut même dériver une quantité différente de la même quantité d’argent à des moments différentes. Par exemple, un homme qui dans sa jeunesse aimait se payer des voitures de luxe et flamber de l’argent dans les boites de nuit peut avec le temps apprendre à se contenter de peu, donc obtenir une utilité plus importante avec moins d’argent.

L’utilité de l’argent varie aussi pour la même personne à un instant donné en fonction de la quantité d’argent qu’il possède déjà. L’une des hypothèses au coeur de la théorie économique est notamment que l’utilité marginale est décroissante. Autrement dit, plus quelqu’un a de l’argent, moins il dérive de satisfaction supplémentaire quand il obtient une somme d’argent supplémentaire. Cette situation est visible sur la courbe suivante, qui représente l’utilité d’un individu hypothétique, appelons le Pierre, comme une fonction de l’argent qu’il possède.L’utilité marginale décroissante de l’argent se manifeste par le fait que la pente de la courbe est de moins en moins forte à mesure que Pierre a plus d’argent. Si Pierre n’a pas beaucoup d’argent, même une petite some d’argent supplémentaire peut entraîner pour lui un gain significatif d’utilité, mais s’il a déjà beaucoup d’argent alors il ne dérivera guère plus d’utilité même si on lui donne une somme d’argent importante.

L’utilité marginale ne décroit pas à la même vitesse pour tout le monde. Par exemple, dans le graphique suivant, je montre l’utilité de l’argent pour Pierre et pour une autre personne hypothétique que nous appellerons Marie.On voit que, même si l’utilité marginale de l’argent est décroissante dans les deux cas, elle décroît beaucoup plus rapidement dans le cas de Pierre que dans celui de Marie. Autrement dit, pour Marie comme pour Pierre, la même somme d’argent en plus leur procurera moins d’utilité supplémentaire s’ils ont déjà beaucoup d’argent que s’ils en ont peu, mais c’est beaucoup plus vrai pour Pierre que pour Marie.

Pierre fait partie de ces gens qui, une fois qu’ils ont atteint un certain niveau de richesse relativement peu élevé, ne seraient pas beaucoup plus satisfaits si on leur donnait encore plus d’argent. Une fois que Pierre a de quoi subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, avoir de l’argent en plus ne change pas grand chose pour lui.

Au contraire, Marie est capable de continuer à dériver de l’utilité supplémentaire pendant beaucoup plus longtemps, même quand elle a déjà beaucoup d’argent. Elle fait partie de ces gens qui, en quelque sorte, ne se lassent pas de l’argent ou du moins mettent beaucoup plus longtemps à s’en lasser. Même une fois qu’elle a acheté sa maison, une belle voiture, etc., elle trouvera encore un moyen de profiter de davantage d’argent, par exemple en s’achetant un yacht ou en soutenant financièrement une cause qui lui tient à coeur, là où Pierre ne saurait pas vraiment quoi en faire.

L’utilité marginale décroissante de l’argent explique pourquoi ils ont une aversion au risque. Revenons à Pierre et imaginons qu’il possède la somme d’argent A1 sur ce graphique.À présent supposons qu’on propose à Pierre, qui possède à ce moment-là 12 500€, le pari suivant : il a une chance sur deux de gagner 7 500€ et une chance sur deux de perdre 7 500€. Dans le premier cas, il passe du point A au point C sur la courbe, alors que dans le second cas il passe du point A au point B.

Comme la courbe s’aplatit progressivement, c’est-à-dire que l’utilité marginale de l’argent décroit, Pierre perd plus d’utilité s’il passe de A à B qu’il n’en gagne s’il passe de A à C. En effet, la différence entre U2 (l’utilité que Pierre aurait s’il avait 7 500€ en moins) et U1 (l’utilité que Pierre a quand il possède 12 500€ au moment où on lui propose le pari) est plus importante que la différence entre U3 (l’utilité que Pierre aurait s’il avait 7 500€ en plus) et U1 (l’utilité que Pierre a quand il possède 12 500€ au moment où on lui propose le pari).

Si Pierre cherche à maximiser son utilité, il est donc logique qu’il n’accepte pas un pari dans lequel il a autant de chances de gagner 7 500€ que de perdre 7 500€, puisque le gain d’utilité dans le premier cas est moins important que la perte d’utilité dans le second cas. Pour qu’il accepte le pari, il faudrait que la probabilité de gagner soit supérieure à 50% ou qu’on lui propose une somme plus importante au cas où il gagne, c’est-à-dire que le risque soit moins élevé.

Cet exemple permet ainsi de comprendre pourquoi le fait que l’utilité marginale soit décroissante, i. e. que les gens dérivent de moins en moins de satisfaction supplémentaire de l’argent à mesure qu’ils sont plus riches, rend l’aversion au risque parfaitement rationnelle.

L’utilité marginale décroissante de l’argent explique aussi pourquoi la même personne, selon son niveau de richesse, a une aversion au risque plus ou moins importante. Supposons par exemple que Pierre ait beaucoup plus d’argent, disons 30 000€ au lieu de 12 500€, au moment où on lui propose le même pari que dans l’exemple précédent.On voit que, même s’il est toujours vrai que le gain d’utilité si Pierre gagne le pari est moins important que la perte d’utilité s’il perd (la différence entre U6 et U4 est moins importante que celle entre U4 et U5), c’est beaucoup moins vrai que quand on supposait qu’il avait moins d’argent avant le pari, parce que la courbe est nettement plus aplatie au point D qu’elle ne l’était au point A dans l’exemple précédent.

Cela explique pourquoi, toutes choses égales par ailleurs, les gens qui ont plus d’argent sont davantage prêts à prendre des risques. Mais la clause « toutes choses égales par ailleurs » est importante, car selon la façon dont différentes personnes dérivent de la satisfaction de l’argent, il est possible que certaines aient une aversion au risque plus importante alors qu’elles sont plus riches. Reprenons la comparaison de la courbe d’utilité de Pierre avec celle de Marie que nous avons déjà vue plus haut.

Il est clair que, comme Marie conserve sa capacité à dériver de la satisfaction d’argent supplémentaire pendant bien plus longtemps que Pierre (la pente de sa courbe d’utilité devient rapidement plus forte à mesure qu’on se déplace vers la droite du graphique), qui s’en lasse assez rapidement, elle peut avoir une aversion au risque moins importante que lui même s’il est plus riche qu’elle. De fait, il est possible de montrer que, au point A, Marie a une aversion au risque plus faible que Pierre au point B, alors même que celui-ci est plus riche.

Conclusion

Nous avons vu que l’aversion au risque, loin d’être irrationnelle, était au contraire parfaitement rationnelle pour quelqu’un cherchant à maximiser son utilité ou degré de satisfaction. D’autre part, il n’y a rien d’irrationnel non plus à ce que différentes personnes aient des aversions au risque différente, même quand elles sont aussi riches l’une que l’autre.

L’aversion au risque dépend en effet de la façon dont chacun derive de la satisfaction de l’argent, qui n’est pas la même pour tout le monde et peut même changer pour la même personne à différentes époques de sa vie, ainsi que de son niveau de richesse, dont il est encore plus évident qu’il n’est pas non plus le même pour tout le monde et qu’il peut changer au cours du temps.

Mais ça ne veut pas dire pour autant que les comportement des gens face au risque sont toujours rationnels. En effet, si les gens refusent de prendre un risque, ça peut être en raison de leur aversion au risque, auquel cas il n’y a pas grand chose à dire. Mais ça peut aussi être par défaut d’information ou parce qu’ils sont incapables d’estimer correctement les conséquences de leurs choix. Or il ne fait guère de doute que, si les Français sont si réticents à prendre des risques avec leur argent, ce n’est pas seulement à cause de leur aversion au risque.

Par exemple, d’après un sondage de 2018, seuls 9% des Français se disent prêts à prendre un risque pour obtenir un meilleur rendement, alors que 70% d’entre eux attendent un rendement d’au moins 5% par an, dont 30% de ces 70% qui attendent un rendement d’au moins 10% par an ! Étant donné que, dans le meilleur des cas, on peut à l’heure actuelle attendre un rendement de 1,5% par an d’un placement sans risque, cela signifie que les préférences que déclarent les Français sont incompatibles avec l’état du marché et donc qu’ils changeraient probablement leur comportement dans une certaine mesure s’ils étaient mieux informés. On voit bien que le fait que l’aversion au risque ne soit pas irrationnelle en soi ne rend pas moins crucial l’accès à une information de qualité.

Auteur : Philippe Lemoine 

SOURCES

Alain Chateauneuf, Michèle Cohen et Jean-Marc Tallon, « Decision under risk: The classical Expected Utility model », Documents de Travail du Centre d’Economie de la Sorbonne, 2008