
Synthèse de la table ronde du 14 juin 2023 organisée par Filib’
Avec la participation exceptionnelle de David Amiel (député), Agnès Bricard (ambassadrice à la participation auprès du gouvernement), Diane Milleron-Deperrois (Directrice Générale Axa Santé et Collectives), Jérôme Nanty (DRH du Groupe Carrefour) et modérée par Nicolas Schimel (Président de Filib’).
Le partage de la valeur pour les TPE : une nouvelle obligation, mais aussi une nouvelle opportunité
La grande nouveauté de la loi votée à l’Assemblée nationale le 27 juin 2023 est l’obligation d’introduire au moins un dispositif de partage de la valeur pour les entreprises entre 11 et 50 salariés (la participation est déjà obligatoire au-delà).
Les députés se sont prononcés en faveur de l’article 3 du projet de loi avec 117 voix « pour » et 17 « contre ».
Selon David Amiel, le gouvernement va « fixer des objectifs » pour que cette obligation soit suivie d’effets et qu’ainsi plusieurs millions de nouveaux salariés aient accès aux dispositifs de partage de la valeur. En effet, selon Diane Milleron-Deperrois, moins de 20 % des entreprises de moins de 50 personnes sont aujourd’hui actives.
La profession d’expert-comptable devrait jouer un rôle important en tant que conseil des TPE /PME, car ces dispositifs restent techniques à appréhender, voire parfois « piégeux ».
Mais il faudrait que le « droit à l’erreur » soit consenti à tous (y compris pour l’expert-comptable qui engage sa responsabilité professionnelle) afin qu’au premier contrôle les administrations délivrent des conseils et non des sanctions !
À noter : les députés ont également voté un article ayant pour but d’accélérer la mise en place de la participation dans les moyennes et grandes entreprises (plus de 50 salariés) en supprimant le délai existant pour les sociétés concernées.
Comment choisir face à une multiplicité de dispositifs ?
Les évolutions prévues par la loi après la transposition de l’ANI offrent aux entreprises une panoplie très riche de solutions pour partager la valeur.
Elles apparaissent, en tous les cas, suffisantes à la grande majorité des DRH présents lors de la conférence.
Il n’est bien sûr pas possible de tout mettre en place pour tous les salariés. Pour Jérôme Nanty, il y a une progressivité : rémunération fixe / dispositifs légaux / actionnariat Salarié. Il faut aussi donner de la lisibilité et du sens.
- La prime de partage de la valeur permet de poser un premier jalon dans les dispositifs légaux, car elle est facile à manipuler pour les DRH et facile à comprendre pour les salariés.
- L’intéressement reste le dispositif le plus riche de sens. Il permet de vraiment associer les salariés à la création de valeur en fixant des critères clairs.
- La force d’un dispositif est sa durée et sa constance. La communication est très importante.
- Il faut bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas uniquement de « donner du pouvoir d’achat » mais bien de « partager des réussites et des progrès ». Par exemple, la satisfaction client – mesurée par le Net Promoter Score, NPS – est un critère sur lequel tout le monde peut contribuer à la création de valeur. Mais lorsque cette satisfaction recule, même si c’est en partie pour des raisons extérieures comme la poussée d’inflation, alors il y a moins de valeur à partager.
Interpelé sur la complexité qui peut naître de la multiplicité des dispositifs, David Amiel recommande une approche de « boite à outil » : les situations des entreprises sont très diverses, et plusieurs dispositifs ne veulent pas dire que « tout le monde doit faire tout » mais que « chacun peut trouver ce qui lui convient ». Le DRH avec les partenaires sociaux devra donc « faire des choix » adaptés à la réalité de son terrain.
Reste que certains dispositifs sont obligatoires, notamment sur la participation. Agnès Bricard regrette à ce propos que la formule de calcul de la participation légale ne se soit pas modernisée alors qu’elle date de plus de 50 ans. Il ya beaucoup de cas de figure où elle n’est plus adaptée (entreprises financières, holding, budgets de recherche élevés etc…).
Cette participation « subie » et parfois « volatile » peut gagner à être englobée dans un « cumul » intéressement participation : l’intéressement représente la part vraiment « dynamique » et la participation joue un rôle mineur. Si l’intéressement est important, elle vient se déduire. Si en revanche il est faible ou nul elle est versée.
Et combien dépenser ?
Pour le public présent, composé principalement d’ETI et de grandes entreprises, la réponse est majoritairement entre 5% et 10% de la masse salariale. Ce qui, au vu de tous les avantages sociaux et fiscaux associés aux dispositifs d’épargne salariale, est un montant largement suffisant pour avoir un impact sur l’attractivité de l’entreprise (on estime qu’un euro dépensé dans un dispositif de partage de la valeur a un effet sur le pouvoir d’achat du salarié en moyenne de 1,7 euro).
L’actionnariat salarié : un mode de partage puissant, mais qui doit mobiliser une forte attention
L’actionnariat salarié ne peut pas être la première brique du partage de la valeur pour les participants. Même si sa portée symbolique est forte, il représente pour les salariés un aléa trop important. C’est plutôt le « haut de la pyramide ». En revanche, il peut être très attractif d’une part, parce qu’il apporte des avantages financiers supplémentaires (décote, formules garanties).
Ainsi, chez AXA qui propose chaque année un dispositif d’actionnariat salarié, plus de 50% des collaborateurs sont déjà actionnaires.
L’accompagnement de ces opérations est nécessaire dans les entreprises cotées, car elles ont une part de complexité importante. Dans ce contexte, Carrefour a ainsi fait appel à Filib’ pour former près de 1000 managers démultiplicateurs pour son opération de 2023 qui était la première depuis plus de 20 ans.
Pour les entreprises non cotées, les opérations sont beaucoup plus rares (souhait de ne pas diluer le capital, complexité de l’évaluation, etc.).
Pour David Amiel, le nouveau Plan de partage de valorisation de l’entreprise qui permet association des salariés à l’augmentation de la valeur de l’entreprise sur trois ans peut permettre d’avoir un effet similaire avec une plus grande simplicité et souplesse de mise en œuvre.
L’accompagnement des salariés : un oubli qui doit cesser
Pour Diane Milleron-Deperrois, l’accompagnement des salariés est indispensable pour mieux partager la valeur.
De manière générale la protection sociale française est très développée mais ces avantages sociaux sont méconnus des salariés qui ont une culture / éducation financière faible (Culture « Livret A »). Or, au cœur de tous les dispositifs évoqués se positionne une problématique d’épargne moyen ou long terme via le PEE (obligatoire aussi pour la PPV au-dessus d’un certain seuil).
Les entreprises doivent donc se préoccuper du besoin d’accompagner les salariés sur ces problématiques, qui est aussi leur affaire car la pédagogie contribuera aussi largement à la mise en valeur des avantages de l’entreprise. « On nous demande maintenant tout le temps à l’embauche, avez-vous ceci ou cela …mais parfois quand on l’a …on ne le sait pas ou on l’oublie. Ces dispositifs sont devenus essentiels pour l’attractivité ».
Elle contribuera aussi à faire le lien entre l’épargne salariale et le sens d’un investissement durable.
On constate en effet un attachement croissant des salariés, de tous âges, à ce que les produits dans lesquels ils investissent soit porteurs de ces valeurs.
Et tous s’accordent à dire que l’épargne salariale est sur ce point sinon exemplaire du moins en avance. David Amiel souligne d’ailleurs que l’ANI renforce aussi cette durabilité.
Pour Agnès Bricard qui rencontre dans son rôle d’ambassadeur des entreprises de toutes tailles mais aussi des représentants des salariés, la question de l’accompagnement est encore largement ignorée. Il va falloir s’occuper du salarié-épargnant.
« Or comment voulez-vous qu’il s’en sorte, surtout dans les petites entreprises où il n’y a personne qui comprend ces sujets financiers. Si personne ne veut mettre sur la table les 10 euros par salarié qu’il faut pour faire de la pédagogie d’après Filib on n’avancera pas », conclut Agnès Bricard.